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rable, il ne survivra pas à la guerre. Une fois devant nous, les problèmes financiers traîneront le reste avec eux. Et les mutilés s’apercevront, par exemple… que la loi des Pensions dépend de la Société des Nations ; qu’on n’aura pas des millions pour tout le monde ; qu’il faudra choisir entre des Canons et des Pensions et que si on contente les métallurgistes, il faudra bien tondre les infirmes.

Ils s’apercevront encore que ce n’est pas pour eux chose sans valeur de savoir d’où viendra l’argent que chaque semaine ils toucheront chez le percepteur, car les plus belles augmentations seraient pures plaisanteries, si l’État les devait acquitter au prix d’impôts indirects dont le mutilé lui-même ferait les frais en sucrant son café.[1]

Outre que la misère du mutilé ne se desserrerait pas d’un cran, le peuple entier souffrirait du poids harassant des impôts, et, selon son habitude de s’en prendre au petit plutôt qu’au gros, au gendarme plutôt qu’à la consigne, au soldat plutôt qu’à l’empereur, c’est au mutilé qu’il s’en prendrait.

On se montrerait du doigt les formes boitantes, ou tronquées, ou hésitantes, des infirmes, on se dirait : « Peut-être nous ont-ils sauvés autrefois ; en tous cas, aujourd’hui, ils nous ruinent… » Et les misérables victimes de la guerre se verraient deux fois mutilées, dans leurs corps, et dans leur classe. Ayant perdu la solidarité ouvrière, ils n’auraient pas gagné non plus la rente suffisante pour vivre et, dans des Congrès sans autorité, ils pousseraient d’aigres plaintes sans écho, dédaignés par les riches et enviés par les pauvres.



Si, au contraire, les anciens combattants savent voir grand et large ; s’ils comprennent que leur sort les force à choisir entre la première place dans l’État et le porche des Églises ; s’ils distinguent clairement et à temps, l’ami de l’ennemi, s’ils exploitent leur capital de prestige, leurs quatre ans de souffrance, la ruine de leurs corps, comme en 89 le Tiers-État exploita le déficit ; s’ils ont l’âme assez fière

  1. Réflexion que le projet actuellement en discussion au Sénat fait tout particulièrement d’actualité. Grâce au radical d’extrême-gauche Rameil, la Chambre a haussé énormément certains taux… Parfait. Mais d’où viendra l’argent ?