Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 1, 1931.djvu/112

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emplissait la salle de sons et de fantômes ? Ne te semblait-il pas que l’espace primitif était substitué par un espace intelligible et changeant ; ou plutôt, que le temps lui-même t’entourait de toutes parts ? Ne vivais-tu pas dans un édifice mobile, et sans cesse renouvelé, et reconstruit en lui-même ; tout consacré aux transformations d’une âme qui serait l’âme de l’étendue ? N’était-ce pas une plénitude changeante, analogue à une flamme continue, éclairant et réchauffant tout ton être par une incessante combustion de souvenirs, de pressentiments, de regrets et de présages, et d’une infinité d’émotions sans causes précises ? Et ces moments, et leurs ornements ; et ces danses sans danseuses, et ces statues sans corps et sans visage (mais pourtant si délicatement dessinées), ne te semblaient-ils pas t’environner, toi, esclave de la présence générale de la Musique ? Et cette production inépuisable de prestiges, n’étais-tu pas enfermé avec elle, et contraint de l’être, comme une pythie dans sa chambre de fumée ?

Phèdre

Oui, certainement. Et même j’ai observé que d’être dans cette enceinte et dans cet univers créé par les sons, ici ou là, c’était être hors de soi-même…