Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 1, 1931.djvu/150

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Socrate

Cela ne fait rien ! Je poursuis. Les actes de l’homme qui construit, ou qui fabrique quelque chose, ne s’inquiètent pas de « toutes » les qualités de la substance qu’ils modifient, mais seulement de quelques-unes. Ce qui est suffisant à notre but, voilà ce qui nous importe. Ce qui suffit à l’orateur, ce sont les effets du langage. Ce qui suffit au logicien, ce sont ses relations et sa suite ; et comme l’un néglige la rigueur, l’autre, les ornements. Et de même, dans l’ordre matériel : une roue, une porte, une cuve, demandant telle solidité, tel poids, telles facilités d’ajustement ou de travail ; et si le châtaignier, ou l’orme, ou le chêne y sont également (ou presque également) propres, le charron ou le menuisier les emploieront à peu près indifféremment, ne regardant qu’à la dépense. Mais tu ne vois pas dans la nature le citronnier produire des pommes, quoique, peut-être, cette année-là, elles lui coûteraient moins cher à former que des citrons.

L’homme, te dis-je, fabrique par abstraction ; ignorant et oubliant une grande partie des qualités de ce qu’il emploie, s’attachant seulement à des conditions claires et distinctes, qui peuvent, le plus souvent, être simultanément satisfaites, non par une