Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 1, 1931.djvu/151

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seule, mais par plusieurs espèces de matières. Il boit du lait, ou du vin, ou de l’eau, ou de la cervoise, indifféremment dans l’or, dans le verre, dans la corne ou dans l’onyx ; et que le vase soit large ou élancé, ou en forme de feuille, ou de fleur, ou bizarrement tordu sur son pied, le buveur ne regarde guère que le boire. Celui même qui a fait cette coupe, n’a jamais pu que grossièrement accorder entre elles sa substance, sa forme et sa fonction. Car la subordination intime de ces trois choses et leur profonde liaison ne pourraient être l’œuvre que de la nature naturante elle-même. L’artisan ne peut faire son ouvrage sans violer ou déranger un ordre, par les forces qu’il applique à la matière pour l’adapter à l’idée qu’il veut imiter, et à l’usage qu’il prévoit. Il est donc conduit inévitablement à produire des objets dont l’ensemble est d’un degré toujours inférieur au degré de leurs parties. S’il construit une table, l’assemblage de ce meuble est un arrangement bien moins complexe que celui de la texture des fibres du bois, et il rapproche grossièrement, dans un certain ordre étranger, les morceaux d’un grand arbre, lesquels s’étaient formés et développés dans d’autres rapports.