Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/101

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créons d’agir de plus en plus largement sur les milieux communs de la vie. L’amateur de vitesse gêne l’amateur de vitesse, et il en est ainsi des amateurs d’ondes entre eux, des amateurs de plages ou de montagne. Si l’on joint à ces contraintes, nées des interférences de nos plaisirs, celles qu’imposent au plus grand nombre les disciplines modernes du travail, on trouvera que la dictature ne fait qu’achever le système de pressions et de liaisons dont les modernes, dans les pays politiquement les plus libres, sont les victimes, plus ou moins conscientes.

Quoi qu’il en soit, l’état dictatorial installé se résume en une division simple de l’organisation d’un peuple : un homme, d’une part, assume toutes les fonctions supérieures de l’esprit : il se charge du bonheur, de l’ordre, de l’avenir, de la puissance, du prestige du corps national, — toutes choses en vue desquelles l’unité, l’autorité, la continuité du pouvoir sont, sans doute, nécessaires. Il se réserve d’agir directement dans tous les domaines, et de décider souverainement en toute matière. D’autre part, le reste des individus seront réduits à la condition d’instruments ou de matière de cette action, quelle que soit leur valeur et leur compétence personnelle. Ce matériel humain, convenablement différencié, sera chargé de l’ensemble des automatismes.

Une division de cette nature est d’autant plus instable que le peuple auquel elle est appliquée contient plus d’esprits eux-mêmes dictatoriaux, (c’est-à-dire : qui veulent comprendre et sont capables d’agir). La conservation de la dictature exige des efforts perpétuels, puisque la dictature, sorte de réponse la plus