Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/113

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important de sa définition que cette propriété d’être difficile à définir. On ne peut la caractériser par une collection d’attributs non contradictoires. J’essaierai tout à l’heure d’en faire sentir la raison. Mais qu’il s’agisse de la France ou de toute autre personne politique du même ordre, ce n’est jamais chose facile que de se représenter nettement ce qu’on nomme une nation. Les traits les plus simples et les plus gros d’une nation échappent aux gens du pays, qui sont insensibles à ce qu’ils ont toujours vu. L’étranger qui les perçoit, les perçoit trop fortement, et ne ressent pas cette quantité de caractères intimes et de réalités invisibles par quoi s’accomplit le mystère de l’union profonde de millions d’hommes.

Il y a donc deux grandes manières de se tromper au sujet d’une nation donnée.

Entre une terre et le peuple qui l’habite, entre l’homme et l’étendue, la figure, le relief, le régime des eaux, le climat, la faune, la flore, la substance du sol, se forment peu à peu des relations réciproques qui sont d’autant plus nombreuses et entremêlées que le peuple est fixé depuis plus longtemps sur le pays.

Si ce peuple est composite, s’il fut formé d’apports successifs au cours des âges, les combinaisons se multiplient.

Au regard de l’observateur, ces rapports réciproques entre la terre mère ou nourrice et la vie organisée qu’elle supporte et alimente, ne sont pas également apparents. Car les uns consistent dans les modifications diverses que la vie humaine fait subir à un territoire ; les autres dans la modification des vivants par leur