Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/114

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habitat ; et tandis que l’action de l’homme sur son domaine est généralement visible et lisible sur la terre, au contraire, l’action inverse est presque toujours impossible à isoler et à définir exactement. L’homme exploite, défriche, ensemence, construit, déboise, fouille le sol, perce des monts, discipline les eaux, importe des espèces. On peut observer ou reconstituer les travaux accomplis, les cultures entreprises, l’altération de la nature. Mais les modifications de l’homme par sa résidence sont obscures comme elles sont certaines. Les effets du ciel, de l’eau, de l’air qu’on respire, des vents qui règnent, des choses que l’on mange, etc., sur l’être vivant, vont se ranger dans l’ordre des phénomènes physiologiques ou psychologiques, cependant que les effets des actes sont pour la plupart de l’ordre physique ou mécanique. Le plus grand nombre de nos opérations sur la nature demeurent reconnaissables ; l’artificiel en général tranche sur le naturel ; mais l’action de la nature ambiante sur nous est une action sur elle-même, elle se fond et se compose avec nous-mêmes. Tout ce qui agit sur un vivant et qui ne le supprime pas, produit une forme de vie, ou une variation de la vie plus ou moins stable.

On voit par ces remarques très simples que la connaissance d’un pays nous demande deux genres de recherches d’inégale difficulté. Ici, comme en bien d’autres matières, il se trouve que ce qui nous importerait le plus de connaître est aussi le plus difficile. Les mœurs, les idéaux, la politique, les produits de l’esprit sont les effets incalculables de causes infiniment enchevêtrées, où l’intelligence se perd au milieu de nombre de facteurs indépendants et de leurs combinaisons, où même la statistique est grossièrement incapable de nous servir. Cette grande impuissance est