Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/124

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Mais je n’en ai parlé que pour établir ce que je prétendais tout à l’heure : que la langue française doit se ranger à part ; également éloignée, au point de vue phonétique, des langues dites latines ou romanes et des langues germaniques.

Il est bien remarquable, en particulier, que la langue parlée sur un territoire intermédiaire entre l’Italie et l’Espagne se contienne dans un registre bien moins étendu que celui où se meuvent les voix italiennes et espagnoles. Ses voyelles sont plus nombreuses et plus nuancées ; ses consonnes jamais ne sont de la force, ne demandent l’effort qui s’y attache dans les autres langues latines.

L’histoire du français nous apprend à ce sujet des choses curieuses, que je trouve significatives. Elle nous enseigne, par exemple, que la lettre r, quoique très peu rude en français, où elle ne se trouve jamais roulée ni aspirée, a failli disparaître de la langue, à plusieurs reprises, et être remplacée, selon un adoucissement progressif, par quelque émission plus aisée. (Le mot chaire est devenu chaise, etc.)

En somme, un examen phonétique même superficiel, (comme celui qu’un simple amateur pouvait faire), m’a montré dans la poétique et la langue de France des traits et des singularités que je ne puis m’expliquer que par les caractères mêmes de la nation que j’ai énoncés tout à l’heure.

Si la langue française est comme tempérée dans sa tonalité générale ; si bien parler le français c’est le parler sans accent ; si les phonèmes rudes ou trop marqués en sont proscrits, ou en furent peu à peu éliminés ; si, d’autre part, les timbres y sont nombreux et complexes, les muettes si sensibles, je n’en puis voir d’autre cause que le mode de formation et la complexité de