Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/125

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l’alliage de la nation. Dans un pays où les Celtes, les Latins, les Germains, ont accompli une fusion très intime, où l’on parle encore, où l’on écrit, à côté de la langue dominante, une quantité de langages divers, (plusieurs langues romanes, les dialectes du français, ceux du breton, le basque, le catalan, le corse), il s’est fait nécessairement une unité linguistique parallèle à l’unité politique et à l’unité de sentiment. Cette unité ne pouvait s’accomplir que par des transactions statistiques, des concessions mutuelles, un abandon par les uns de ce qui était trop ardu à prononcer pour les autres, une altération mutuelle. Peut-être pourrait-on pousser l’analyse un peu plus loin et rechercher si les formes spécifiques de français ne relèvent pas, elles aussi, des mêmes nécessités ?

La clarté de structure du langage de la France, si on pouvait la définir d’une façon simple, apparaîtrait sans doute comme le fruit des mêmes besoins et des mêmes conditions ; et il n’est pas douteux, d’autre part, que la littérature de ce pays, en ce qu’elle a de plus caractéristique, procède mêmement d’un mélange de qualités très différentes et d’origines très diverses, dans une forme d’autant plus nette et impérieuse que les substances qu’elle doit recevoir sont plus hétérogènes. Le même pays produit un Pascal et un Voltaire, un Lamartine et un Hugo, un Musset et un Mallarmé. Il y a quelques années, on pouvait rencontrer, dans un même salon de Paris, Émile Zola et Théodore de Banville, ou bien aller en un quart d’heure du cabinet d’Anatole France au bureau de J.-K. Huysmans : c’était visiter des extrêmes.

Ici se placeraient tout naturellement des considérations sur ce que la France a donné aux Lettres de proprement et spécialement français. Il faudrait, par exemple, mettre en lumière ce