Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/140

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il arrache sa charge de sable à la terre ; le sifflement perdu d’un train en détresse lointaine ; une voix nette ; et de vagues vociférations frustres.

Au premier plan, le chant d’un mendiant longuement lamentable se traîne.

Tout ce que le choc et le frottement peuvent engendrer à l’ouïe appelle à moi de toutes parts ce désordre de noms et d’images, venus de l’horizon de ma mémoire et de mon attente. J’entends mugir, bramer, cogner ou geindre la foule des forces mécaniques qui agissent et malmènent la matière dans Paris.

Paris caché, Paris moteur dans l’étendue et cause multiforme, Être puissant fait de pierre et de vie, que suppose cette présence inépuisable d’un flux de rumeur sourde aux éclats de vacarme, veut alors se produire à ma pensée.

Voici me naître et me décourager cet absurde désir : Penser Paris.

Comment songer à vaincre, à réduire à quelque forme intelligible un tel monstre de grandeur, de rapports, de différences concentrées ? Paris, valeur d’un site, ouvrage de vingt siècles ; Paris, produit des mains, des biens et de la politique d’un grand peuple ; foyer de délice et de peine ; objet des vœux de tant de conquérants, les uns, forts de leurs dons, les autres, de leurs armes ; Paris, trésor ; Paris, mêlée ; Paris, table de jeu où tous les visages de la fortune, tous les lots du destin brillent à tous les yeux ; et Paris, œuvre et phénomène, théâtre d’événements d’importance universelle, événement lui-même de première grandeur, création semi-statistique, semi-volontaire ; mais, sur toute chose, Paris, Personne Murale du plus haut rang, très illustre héritière des titres les plus nobles, et qui joint à la pos-