Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/141

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session des plus beaux et des plus noirs souvenirs, la conscience d’une mission spirituelle permanente.

Penser PARIS ?… Je me perds dans les voies de ce propos. Chaque idée qui me vient se divise sous le regard de mon esprit. À peine elle se dessine dans la durée et la logique de mon effort, aussitôt elle s’égare d’elle-même parmi tant d’autres qui s’en détachent et la prolongent, dont chacune enfanterait cent livres. La quantité des beautés sensibles et des caractères abstraits de la Grand’Ville est telle que je me trouve en proie au nombre d’idées qui m’en reviennent et de leurs combinaisons possibles, comme un promeneur étranger qui s’embarrasse dans le réseau de nos rues, et que le tumulte étonne et que le mouvement étourdit. Cette image même s’empare du pouvoir, se développe en moi, et m’inspire tout à coup une étrange similitude. Il m’apparaît que penser PARIS se compare, ou se confond, à penser l’esprit même. Je me représente le plan topographique de l’énorme cité, et rien ne me figure mieux le domaine de nos idées, le lieu mystérieux de l’aventure instantanée de la pensée, que ce labyrinthe de chemins, les uns, comme au hasard tracés, les autres, clairs et rectilignes…

Et je me dis qu’il est en nous des avenues, des carrefours et des impasses ; il s’y trouve des coins sinistres et des points qu’il faut redouter. Il en est de charmants aussi, et de sacrés. L’âme contient des tombes ; comme elle renferme les monuments de nos victoires, et les hauts édifices de notre orgueil. Et nous savons que dans notre Cité intérieure, où chaque instant est un