Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/144

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qu’enregistre l’état civil… Ce sont là des observations imaginaires à base réelle, qui font concevoir cette ville énorme comme une nébuleuse d’événements, située à l’extrême limite de nos moyens intellectuels.

Mais il ne manque pas sur la terre d’amas comparables à celui-ci, il en est quelques-uns de plus vastes encore. Paris, pourtant, se distingue fort nettement des autres monstres à millions de têtes, les New-York, les Londres, les Péking… Il n’est point, en effet, d’entre nos Babylones, de ville plus personnelle et qui assemble des fonctions plus nombreuses que celle-ci et plus diverses. C’est qu’il n’en est point où, depuis des siècles, l’élite, en tous genres, d’un peuple ait été si jalousement concentrée ; où toute valeur ait dû venir se faire reconnaître, subir l’épreuve des comparaisons, affronter la critique, la jalousie, la concurrence, la raillerie et le dédain. Il n’est point d’autre ville où l’unité d’un peuple ait été élaborée et consommée par une suite aussi remarquable et aussi diverse de circonstances et le concours d’hommes si différents par le génie et les méthodes. En vérité, c’est ici que notre nation, la plus composée d’Europe, a été fondue et refondue à la flamme des esprits les plus vifs et les plus opposés, et comme par la chaleur de leurs combinaisons.

C’est pourquoi Paris est bien autre chose qu’une capitale politique et un centre industriel, qu’un port de première importance et un marché de toutes valeurs, qu’un paradis artificiel et un sanctuaire de la culture. Sa singularité consiste d’abord en