Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/32

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une certaine suite d’heureux succès ; dès que l’accident et le désordre dominent, le jeu savant ou inspiré devient indiscernable d’un jeu de hasard ; les plus beaux dons s’y perdent.

Par là, la nouvelle politique est à l’ancienne ce que les brefs calculs d’un agioteur, les mouvements nerveux de la spéculation dans l’enceinte du marché, ses oscillations brusques, ses retournements, ses profits et ses pertes instables sont à l’antique économie du père de famille, à l’attentive et lente agrégation des patrimoines… Les desseins longuement suivis, les profondes pensées d’un Machiavel ou d’un Richelieu auraient aujourd’hui la consistance et la valeur d’un tuyau de Bourse.

Ce monde limité et dont le nombre des connexions qui en rattachent les parties ne cesse de croître, est aussi un monde qui s’équipe de plus en plus. L’Europe a fondé la science. La science a transformé la vie et multiplié la puissance de ceux qui la possédaient. Mais par sa nature même, elle est essentiellement transmissible ; elle se résout nécessairement en méthodes et en recettes universelles. Les moyens qu’elle donne aux uns, tous les autres les peuvent acquérir.

Ce n’est pas tout. Ces moyens accroissent la production, et non seulement en quantité. Aux objets traditionnels du commerce viennent s’adjoindre une foule d’objets nouveaux dont le désir et le besoin se créent par contagion ou imitation. On arrive bientôt à exiger de peuples moins avancés qu’ils acquièrent ce qu’il leur faut de connaissances pour devenir amateurs et acheteurs de ces nouveautés. Parmi elles, les armes les plus récentes. L’usage qu’on en fait contre eux les contraint d’ailleurs à s’en procurer. Ils n’y trouvent aucune peine ; on se