Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/42

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Les actes de quelques hommes ont pour des millions d’hommes des conséquences comparables à celles qui résultent pour tous les vivants des perturbations et des variations de leur milieu. Comme des causes naturelles produisent la grêle, le typhon, l’arc-en-ciel, les épidémies, ainsi des causes intelligentes agissent sur des millions d’hommes dont l’immense majorité les subit comme elle subit les caprices du ciel, de la mer, de l’écorce terrestre. L’intelligence et la volonté affectant les masses en tant que causes physiques et aveugles, — c’est ce qu’on nomme Politique.

DES NATIONS

Ce n’est jamais chose facile que de se représenter nettement ce qu’on nomme une nation. Les traits les plus simples et les plus forts échappent aux gens du pays qui sont insensibles à ce qu’ils ont toujours vu. L’étranger qui les perçoit, les perçoit trop puissamment, et ne ressent pas cette quantité de correspondances intimes et de réciprocités invisibles par quoi s’accomplit le mystère de l’union profonde de millions d’hommes.

Il y a donc deux grandes manières de se tromper au sujet d’une nation donnée.

D’ailleurs l’idée même de nation en général ne se laisse pas capturer aisément. L’esprit s’égare entre les aspects très divers de cette idée ; il hésite entre des modes très différents de définition. À peine a-t-il cru trouver une formule qui le contente, elle-