Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/52

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dérive d’expériences non précises ni soignées, qui se mélange d’une logique et d’analogies assez impures pour être universelles. La religion ne l’admet pas dans ses dogmes. Les sciences chaque jour l’ahurissent, le bouleversent, le mystifient.

Ce critique du bon sens ajoute qu’il n’y a pas de quoi se vanter d’être la chose du monde la plus répandue.

Mais je lui réponds que rien toutefois ne peut retirer au bon sens cette grande utilité qu’il a dans les disputes sur les choses vagues, où il n’est pas d’argument plus puissant sur le public que de l’invoquer pour soi, de proclamer que les autres déraisonnent, et que ce bien si précieux pour être commun réside tout en celui qui parle.

C’est ainsi que l’on met avec soi tous ceux qui méritent d’y être, et qui sont ceux qui croient ce qu’ils lisent.

Napoléon disait qu’à la guerre, presque tout est de bon sens, ce qui est une parole généreuse dans la bouche d’un homme de génie.

Cette parole est remarquable. L’empereur, parmi ses grands dons, avait celui de discerner merveilleusement laquelle de ses facultés il fallait exciter, laquelle il fallait amortir selon l’occasion ; même le sommeil était à ses ordres.

Quand il dit ce que j’ai rapporté sur le bon sens, il sépare, (comme il se doit), le travail du loisir et de la méditation, de ce travail instantané qui s’opère au milieu des événements, sous la pression du temps, et sous le bombardement des nouvelles. Alors point de délais, point de reprises, l’expédient est la règle, et le