Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/53

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bon sens est, par hypothèse, le sens de bien choisir parmi les expédients.

Je consens donc sans difficulté que ceux qui agissent en politique, c’est-à-dire qui se dépensent à acquérir ou à conserver quelque parcelle de pouvoir, ne se perdent pas à peser les notions dont ils se servent et dont leurs esprits furent munis une fois pour toutes ; je sais bien qu’ils doivent, par nécessité de leur état, travailler sur une image du monde assez grossière, puisqu’elle est et doit être du même ordre de précision, de la même étendue, de la même simplicité de connexion dont la moyenne des esprits se satisfait, cette moyenne étant le principal suppôt de toute politique. Pas plus que l’homme d’action, l’opinion n’a le temps ni les moyens d’approfondir.

Cette image du monde, qui est assez grossière pour être utile, flotte dans l’air, dans nos esprits, dans les cafés, dans les Parlements et les chancelleries, dans les journaux, c’est-à-dire partout, et se dégage des études et des livres. Mais si générale et si présente qu’elle soit, il est remarquable qu’elle se raccorde fort mal avec la petite portion du monde réel où vit chacun de nous. Je veux dire que par notre expérience personnelle et immédiate, nous ne pourrions en général reconstituer le système de ce vaste monde politique dont les mouvements, toutefois, les perturbations, les pressions et tensions viennent modifier plus ou moins profondément, directement, soudainement le petit espace qui nous contient, et les formes de vie que nous y vivons et y voyons vivre. Or, le monde réel des humains est fait de pareils éléments