Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/58

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comparable, et pour quelques-uns, éternel. Il semblait que notre substance la plus profonde, ce fût une activité absolue, et qu’il résidât en chacun de nous je ne sais quel pouvoir initial, quel quantum d’indépendance pure. Mais nous sommes dans une époque prodigieuse où les idées les plus accréditées et qui semblaient le plus incontestables se sont vues attaquées, contredites, surprises et dissociées par les faits, à ce point que nous assistons à présent à une sorte de faillite de l’imagination et de déchéance de l’entendement, incapables que nous sommes de nous former une représentation homogène du monde qui comprenne toutes les données anciennes et nouvelles de l’expérience.

Cet état me permet de m’aventurer à concevoir que l’on puisse de l’extérieur modifier directement ce qui fut l’âme et fut l’esprit de l’homme.

Peut-être notre substance secrète n’est secrète que pour certaines actions du dehors, et n’est-elle que partiellement défendue contre les influences extérieures. Le bois est opaque pour la lumière que voient nos yeux, il ne l’est pas pour des rayons plus aigus. Ces rayons découverts, notre idée de la transparence en est toute changée. Il y a des exemples si nombreux de ces transformations de nos idées et de nos attentes que je me risque à penser ceci : on estimera un jour que l’expression « Vie intérieure » n’était relative qu’à des moyens de production et de réception… classiques, naturels, si l’on veut.

Notre moi, peut-être, est-il isolé du milieu, préservé d’être Tout, ou d’être N’importe quoi, à peu près comme l’est dans mon gousset le mouvement de ma montre ?

Je suppose, je crois, qu’elle conserve le temps, en dépit de mes allées et venues, de mes attitudes, de ma vitesse et des circons-