Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/60

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qui nous désignent une cause physique et une origine nettement séparée, il n’est pas impossible qu’on puisse le produire avec une puissance invincible et méconnaissable, en induisant directement les circuits les plus intimes de la vie. C’est en somme un problème de physique. L’action des sons, et particulièrement de leurs timbres, et parmi eux les timbres de la voix, l’action extraordinaire de la voix est un facteur historique d’importance, fait pressentir les effets de vibrations plus subtiles accordées aux résonnances des éléments nerveux profonds. Nous savons bien, d’autre part, qu’il est des chemins sans défense pour atteindre aux châteaux de l’âme, y pénétrer et s’en rendre maîtres. Il est des substances qui s’y glissent et s’en emparent. Ce que peut la chimie, la physique des ondes le rejoindra selon ses moyens.

On sait ce qu’ont obtenu des humains les puissants orateurs, les fondateurs de religions, les conducteurs de peuples. L’analyse de leurs moyens, la considération des développements récents des actions à distance suggèrent aisément des rêveries comme celle-ci. Je ne fais qu’aller à peine un peu plus loin que ce qui est. Imagine-t-on ce que serait un monde où le pouvoir de faire vivre plus vite ou plus lentement les hommes, de leur communiquer des tendances, de les faire frémir ou sourire, d’abattre ou de surexciter leurs courages, d’arrêter au besoin les cœurs de tout un peuple, serait connu, défini, exercé !… Que deviendraient alors les prétentions du Moi ? Les hommes douteraient à chaque instant s’ils seraient sources d’eux-mêmes ou bien des marionnettes jusque dans le profond du sentiment de leur existence.

Ne peuvent-ils déjà éprouver quelquefois ce malaise ? Notre vie en tant qu’elle dépend de ce qui vient à l’esprit, qui semble venir de l’esprit et s’imposer à elle après s’être imposée à lui,