Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/72

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l’impuissance remarquable de la pensée morale à circonscrire dans une formule ce qu’elle entend elle-même par liberté d’un être vivant et doué de conscience de soi-même et de ses actions.

Mais rien de plus fécond que ce qui permet aux esprits de se diviser et d’exploiter leurs différences, quand il n’y a point de référence commune qui les oblige à s’accorder.

Les uns, donc, ayant rêvé que l’homme était libre, sans pouvoir dire au juste ce qu’ils entendaient par ces mots, les autres, aussitôt, imaginèrent et soutinrent qu’il ne l’était pas. Ils parlèrent de fatalité, de nécessité, et, beaucoup plus tard, de déterminisme ; mais tous ces termes sont exactement du même degré de précision que celui auquel ils s’opposent. Ils n’importent rien dans l’affaire qui la retire de ce vague où tout est vrai.

Le « déterministe » nous jure que si l’on savait tout, l’on saurait aussi déduire et prédire la conduite de chacun en toute circonstance, ce qui est assez évident. Le malheur veut que tout savoir n’ait aucun sens.

Tout devient absurde en cette matière, comme en tant d’autres, dès que l’on presse les termes : ils n’étaient enflés que de vague. On constate facilement que le problème n’a jamais pu être véritablement énoncé, que cette circonstance n’a jamais empêché personne de le résoudre, et qu’elle lui confère une sorte d’éternité : il irrite l’esprit dans un cercle. Le célèbre géomètre Abel, traitant de tout autre chose, disait : « On doit donner au problème une forme telle qu’il soit toujours possible de le résoudre. »

C’est cette forme qu’il fallait chercher. Que si elle est introuvable, le problème n’existe pas.

Faute de cette première recherche, la pensée s’excitant sur