Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/73

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un mot s’égare dans une quantité d’expressions particulières : elle adopte tantôt un sens plus ou moins composite, sorte de moyenne des usages ; tantôt un sens tout conventionnel, qui se brouille bientôt avec celui de l’usage, et l’infini des méprises et des fluctuations du penseur lui-même s’introduit.

C’est une erreur très facile et si commune qu’on peut la dire constante, que de faire d’un problème de statistique et de notations accidentellement constituées, un problème d’existence et de substance. Il n’y a rien de plus, il ne peut rien y avoir de plus dans un sens de mot que ce que chaque esprit a reçu des autres, en mille occasions diverses et désordonnées, à quoi s’ajoutent les emplois qu’il en a faits lui-même, tous les tâtonnements d’une pensée naissante qui cherche son expression. C’est donc à la seule philologie, leur juge naturel, qu’il convient d’adresser toutes les questions dont les termes peuvent toujours être mis en cause. Il lui appartient à elle seule de restituer les origines et les vicissitudes du sens et des emplois des mots, et elle ne leur suppose pas un sens vrai, une profondeur, une valeur autre que de position et de circonstance, qui résiderait et subsisterait dans le terme isolé.

Comment donc se peut-il que l’affaire de la liberté et du libre arbitre ait excité tant de passion et animé tant de disputes sans issue concevable ? C’est que l’on y portait sans doute un tout autre intérêt que celui d’acquérir une connaissance que l’on n’eût pas. On regardait aux conséquences. On voulait qu’une chose fût, et non point une autre ; les uns et les autres ne cher-