Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/89

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avec l’insensibilité, la puissance froide et inévitable d’un mécacanisme- qui, depuis la naissance jusqu’à la mort, transforme chaque vie individuelle en éléments indiscernables de je ne sais quelle existence monstrueuse.

Les grandes choses sont accomplies par des hommes qui ne sentent pas l’impuissance de l’homme. Cette insensibilité est précieuse.

Mais il faut bien avouer que les criminels ne sont pas sans ressembler sous ce rapport à nos héros.

Victimes de la liberté.

Plus d’une chose de prix, et quelques-unes du plus grand prix, font les frais de la liberté.

Comme la liberté de nos mouvements n’est pas d’abord ressentie, mais succède comme sensation à quelque empêchement qui s’abolit, — ou bien se fait imaginer sous pression d’une gêne, ainsi la liberté politique ou celle des mœurs, ou celle de la pensée ne sont pas primitives, mais se conçoivent, se dessinent, se fortifient dans les esprits et s’imposent après de longues périodes de contrainte, de discipline, de formalisme et de soumission. Pendant le temps de cette rigueur, l’homme acquiert des manières de vertus qui sont, dans l’ensemble, favorables à la vie sociale, au fonctionnement régulier des mécanismes de cette vie, à la compréhension mutuelle des individus, à la prévision des réac-