Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 10, 1938.djvu/90

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mécanisme de l’un et de celle des groupes de divers ordres. Il se peut que les principes, les règles, les usages ou habitudes alors inculqués soient impossibles à déduire d’un examen des choses mêmes à telle époque : il arrive qu’ils y paraissent étranges, absurdes, tyranniques, arbitraires, et qu’on ne puisse imaginer qu’on se soit si longtemps soumis à des formes ou à des formules ou gênantes ou injustes ou ridicules ou atroces ou seulement inutiles. Il en résulte des mouvements qui tendent à renverser ces obstacles, des images qui représentent la jouissance et le bonheur d’en être débarrassés. Aussitôt l’idée naîtra du plaisir que l’on trouverait dans l’acte même de s’y attaquer et de les ruiner en quelques instants. Sous le nom de la liberté, la violence et ses fortes couleurs, ses chants et sa mimique, ses efforts et ses compositions dramatiques devient séductrice irrésistible. Dans la plupart des cas, quand le lion, fatigué d’obéir à son maître, l’a déchiré et dévoré, ses nerfs sont satisfaits, et il s’en trouve un autre devant qui s’aplatir…

Cette révolte détruit indistinctement. La violence se connaît à ce caractère, qu’elle ne peut choisir : on dit fort bien que la colère est aveugle ; une explosion ou un incendie affecte un certain volume et tout ce qu’il contient. C’est donc une illusion de ceux qui imaginent une révolution ou une guerre comme des solutions à des problèmes déterminés que de croire que le mal seul sera supprimé.

Parmi les victimes de la liberté, les formes, et dans tous les sens du terme, le style. Tout ce qui exige un dressage, des observances d’abord inexplicables, des reprises infinies ; tout ce qui mène par contrainte d’une liberté de refuser l’obstacle à la liberté supérieure de le franchir, tout ceci périclite, et la facilité