Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 11, 1939.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

toutes les lettres doublées dans l’écriture et que le français ne devrait pas faire sentir sont terriblement fortifiées dans la parole. Tout se prononce. On dira, par exemple, somptueux ou dompter…, au lieu de sontueux ou donter… Et, dans mon Midi, nous disons fort bien : La valeur n’attend pas le nombre des an-nées.

Ce n’est pas ici le lieu de faire le procès complet de l’orthographe. L’absurdité de notre orthographe, qui est, en vérité, une des fabrications les plus cocasses du monde, est bien connue. Elle est un recueil impérieux ou impératif d’une quantité d’erreurs d’étymologie artificiellement fixées par des décisions inexplicables. Laissons ce procès de côté, (non sans observer à quel point la complication orthographique de notre langue la met en état d’infériorité vis-à-vis de certaines autres. L’italien est parfaitement phonétique, cependant que le français, qui est riche, possède deux manières d’écrire f, quatre manières d’écrire k, deux d’écrire z, etc.).

Mais je reviens à la langue parlée. Croyez-vous que notre littérature, et singulièrement notre poésie, ne pâtissent pas de notre négligence dans l’éducation de la parole ? Que voulez-vous que devienne un poète, un véritable poète, un homme pour qui les sons du langage ont une importance égale, (égale, vous m’entendez bien !) à celle du sens quand, ayant calculé de son mieux ses figures rythmiques, la valeur de la voix et des timbres, il lui arrive d’entendre cette musique si particulière qu’est la poésie, interprétée, ou plutôt massacrée, selon l’un des divers accents que je vous ai énumérés ? Mais même lorsque l’accent est celui