Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 11, 1939.djvu/72

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aussi le comparer à l’abeille quand elle n’a qu’à s’inquiéter de son miel. Les rayons réguliers et les alvéoles de cire sont tout faits devant elle. Sa tâche est bien mesurée et restreinte au meilleur d’elle-même. Tel le compositeur. On peut dire que la musique préexiste et l’attend. Il y a beau temps qu’elle est toute constituée  !

Comment eut lieu cette institution de la musique ? Nous vivons par l’ouïe dans l’univers des bruits. De leur ensemble se détache l’ensemble de bruits particulièrement simples, c’est-à-dire bien reconnaissables par l’oreille et qui lui servent de repères : ce sont des éléments dont les relations réciproques sont intuitives ; ces relations exactes et remarquables sont perçues par nous aussi nettement que leurs éléments eux-mêmes. L’intervalle de deux notes nous est aussi sensible qu’une note.

Par là, ces unités sonores, ces sons, sont aptes à former des combinaisons suivies, des systèmes successifs ou simultanés dont la structure, les enchaînements, les implications, les entrecroisements nous apparaissent et s’imposent. Nous distinguons nettement le son du bruit, et nous percevons dès lors un contraste entre eux, impression de grande conséquence car ce contraste est celui du pur et de l’impur, qui se ramène à celui de l’ordre et du désordre, tient lui-même, sans doute, aux effets de certaines lois énergétiques. Mais n’allons pas si loin.

Ainsi, cette analyse des bruits, ce discernement qui a permis la constitution de la musique comme activité séparée et exploitation de l’univers des sons, a été accomplie, ou du moins contrôlée, unifiée, codifiée, grâce à l’intervention de la science physique, qui s’est d’ailleurs découverte elle-même à cette occasion et s’est reconnue comme science des mesures, et qui a su, dès l’Antiquité,