Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 11, 1939.djvu/77

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les préceptes de mon premier maître Malherbe, et de ne chercher jamais ni nombre, ni cadence à mes périodes, ni d’autre ornement que la netteté qui peut exprimer mes pensées. Ce bonhomme (Malherbe) comparait la prose à la marche ordinaire et la poésie à la danse, et il disait qu’aux choses que nous sommes obligés de faire on y doit tolérer quelque négligence, mais que ce que nous faisons par vanité, c’est être ridicule que de n’y être que médiocres. Les boiteux et les goutteux ne se peuvent empêcher de marcher, mais il n’y a rien qui les oblige à danser la valse ou les cinq pas. »

La comparaison que Racan donne à Malherbe, et que j’avais, de mon côté, facilement aperçue, est immédiate. Je vais vous faire voir qu’elle est féconde. Elle se développe très loin avec une curieuse précision. Elle est peut-être quelque chose de plus qu’une similitude d’apparences.

La marche comme la prose a toujours un objet précis. Elle est un acte dirigé vers quelque objet que notre but est de joindre. Ce sont des circonstances actuelles, la nature de l’objet, le besoin que j’en ai, l’impulsion de mon désir, l’état de mon corps, celui du terrain, qui ordonnent à la marche son allure, lui prescrivent sa direction, sa vitesse, et son terme fini. Toutes les propriétés de la marche se déduisent de ces conditions instantanées et qui se combinent singulièrement dans chaque occasion, tellement qu’il n’y a pas deux déplacements de cette espèce qui soient identiques, qu’il y a chaque fois création spéciale, mais, chaque fois, abolie et comme absorbée dans l’acte accompli.

La danse, c’est tout autre chose. Elle est, sans doute, un système d’actes, mais qui ont leur fin en eux-mêmes. Elle ne va nulle part. Que si elle poursuit quelque chose, ce n’est qu’un