Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 2, 1931.djvu/53

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chose. L’attente, le risque, un peu de doute, l’exaltent et la vivifient bien plus que ne le fait la possession du certain. Je crois que cela n’est pas bien ; mais je suis ainsi, malgré les reproches que je m’en fais. Je me suis confessée plus d’une fois d’avoir pensé que je préférais croire en Dieu que de le voir dans toute sa gloire, et j’ai été blâmée. Mon confesseur m’a dit que c’était une bêtise plutôt qu’un péché.

Pardonnez-moi de vous écrire sur mon pauvre être quand vous ne souhaitez que d’apprendre quelques nouvelles de celui qui vous intéresse si vivement. Mais je suis un peu plus que le témoin de sa vie ; j’en suis une pièce et comme un organe, quoique non essentiel. Mari et femme que nous sommes, nos actions sont composées par le mariage, et nos nécessités temporelles assez bien ajustées, en dépit de la différence immense et indéfinissable de nos esprits. Je suis donc obligée de vous parler incidemment de celle qui vous parle de lui. Peut-être que vous concevez assez mal quelle est ma condition auprès de M. Teste, et comment je m’arrange de passer mes jours dans l’intimité d’un homme si original, de m’en trouver si proche et si éloignée ?

Les dames de mon âge, mes amies véritables ou