Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 2, 1931.djvu/54

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apparentes, sont fort étonnées de me voir, qui semble si bien faite pour une existence comme la leur, et femme assez agréable, point indigne d’un sort compréhensible et simple, accepter une position qu’elles ne peuvent se figurer le moins du monde dans la vie d’un tel homme dont la réputation de bizarreries les choque et les scandalise. Elles ne savent pas que le moindre adoucissement de mon cher époux est mille fois plus précieux que toutes les caresses des leurs. Qu’est-ce que leur amour qui se ressemble et se répète, qui a perdu depuis longtemps tout ce qui tient de la surprise, de l’inconnu, de l’impossible, tout ce qui fait que les moindres effleurements sont chargés de sens, de risques et de puissance, que la substance d’une voix est l’unique aliment de notre âme, et qu’enfin, toutes les choses sont plus belles, plus significatives, — plus lumineuses ou plus sinistres, — plus remarquables ou plus vaines, — selon le seul pressentiment de ce qui se passe dans une personne changeante qui nous est devenue mystérieusement essentielle ?

Voyez-vous, Monsieur, il faut ne pas se connaître aux délices pour les désirer séparer de l’anxiété. Si naïve que je sois, je me doute bien de ce que perdent les voluptés d’être apprivoisées et accommodées aux