Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 2, 1931.djvu/60

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l’âme sans bornes. Mais environnée, mais enclose, Mon Dieu ! Que c’est difhcile à expliquer ! Je ne veux point dire captive. Je suis libre, mais je suis classée.

Ce que nous avons de plus nôtre, de plus précieux est obscur à nous-mêmes, vous le savez bien. Il me semble que je perdrais l’être, si je me connaissais tout entière. Eh bien, je suis transparente pour quelqu’un, je suis vue et prévue, telle quelle, sans mystère, sans ombres, sans recours possible à mon propre inconnu, — à ma propre ignorance de moi-même !

Je suis une mouche qui s’agite et vivote dans l’univers d’un regard inébranlable : et tantôt vue, tantôt non vue, mais jamais hors de vue. Je sais à toute minute que j’existe dans une attention toujours plus vaste et plus générale que toute ma vigilance, toujours plus prompte que mes soudaines et plus promptes idées. Mes plus grands mouvements de l’âme lui sont de petits événements insignifiants. Et cependant j’ai mon infini… que je sens. Je ne puis pas ne pas reconnaître qu’il est contenu dans le sien, et je ne puis pas consentir qu’il le soit. C’est une chose inexprimable, Monsieur, que je puisse penser et agir absolument comme je veux, sans jamais,