Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 2, 1931.djvu/61

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jamais, pouvoir rien penser ni vouloir qui soit imprévu, qui soit important, qui soit inédit pour M. Teste !.. Je vous assure qu’une sensation si constante et si étrange donne des idées bien profondes… je puis dire que ma vie me présente à toute heure un modèle sensible de l’existence de l’homme dans la divine pensée. J’ai l’expérience personnelle d’être dans la sphère d’un être comme toutes âmes sont dans l’Être.

Mais hélas ! cette même sensation d’une présence à laquelle on ne peut se soustraire et d’une si intime divination, n’est pas sans m’induire quelquefois en de viles pensées. Je suis tentée. Je me dis que cet homme est peut-être réprouvé, que je m’expose grandement dans son voisinage, et que je vis sous les feuilles d’un mauvais arbre… Mais je m’aperçois presqu’aussitôt que ces réflexions spécieuses dissimulent elles-mêmes le péril contre quoi elles me conseillent de me mettre en garde. Je devine dans leurs replis une suggestion bien habile de rêver à une autre vie plus délicieuse, à d’autres hommes… Et je me fais horreur. Je reviens sur mon sort ; je sens qu’il est ce qu’il doit être ; je me dis que je veux mon sort, que je le choisis de nouveau à chaque instant ; j’entends intérieurement la voix si nette et si