Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 2, 1931.djvu/64

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la vérité. Il se flatte qu’il y est bien seul… Patience, chère dame. Peut-être, certain jour, trouvera-t-il quelque empreinte sur le sable… Quelle heureuse et sainte terreur, quelle épouvante salutaire, quand il connaîtra, à ce pur vestige de la grâce, que son île est mystérieusement habitée !.. »

Alors j’ai dit à M. l’abbé que mon mari me faisait penser bien souvent à un mystique sans Dieu… — « Quelle lueur ! a dit l’abbé, — quelles lueurs, les femmes quelquefois tirent des simplicités de leurs impressions et des incertitudes de leur langage !.. »

Mais aussitôt, et à soi-même, il répliqua :

« Mystique sans Dieu !.. Lumineux non-sens !.. Voilà qui est bientôt dit !.. Fausse clarté… Un mystique sans Dieu, Madame, mais il n’est point de mouvement concevable qui n’ait sa direction et son sens, et qui n’aille enfin quelque part !.. Mystique sans Dieu !.. Pourquoi pas un Hippogriffe, un Centaure !

— Pourquoi pas un Sphinx, Monsieur l’abbé ? »

Il est d’ailleurs chrétiennement reconnaissant à M. Teste de la liberté qui m’est laissée de suivre ma