Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/156

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historiens du premier ordre sur les hommes et les événements de la Révolution Française. Il vous a montré que ces connaisseurs de la Terreur s’accordaient entre eux précisément comme Danton s’accordait avec Robespierre, — quoiqu’avec des conséquences moins rigoureuses. Je ne dis pas que les mouvements de l’âme ne soient pas aussi absolus chez les écrivains qu’ils le sont chez ceux qui agissent ; mais c’est qu’en temps normal la guillotine, heureusement, n’est pas à la disposition des historiens.

Je ne vous cacherai point cependant, que si le sens profond des querelles spéculatives et des polémiques même littéraires, était recherché, poursuivi dans les cœurs par une analyse assez acharnée, il n’y a pas de doute que l’on trouverait à la racine de nos opinions et de nos thèses favorites, je ne sais quel principe de décisions implacables, je ne sais quelle obscure et aveugle volonté d’avoir raison par extermination de l’adversaire. Les convictions sont naïvement et secrètement meurtrières.

Vous avez donc vu, par le rapprochement de citations et de formules précises, comment de différents esprits, procédant de mêmes données, exerçant leurs vertus critiques et leurs talents d’organisation imaginative sur les mêmes documents, — et d’ailleurs animés, (je l’espère), d’un désir identique de rejoindre le vrai, — toutefois se divisent, s’opposent, se repoussent, à peu près aussi violemment que des factions politiques.

Historiens ou partisans, hommes d’étude, hommes d’action, se font à demi consciemment, à demi inconsciemment, infiniment sensibles à certains faits ou à certains traits, — parfaitement insensibles à d’autres, qui gênent ou ruinent leurs thèses ; et ni le degré de culture de ces esprits, ni la solidité ou la plénitude de leur savoir, ni même leur loyauté, ni leur profondeur, ne semblent