Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/188

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saire, de nouveautés brusques, de perturbations en tous domaines, dans les sciences comme dans les mœurs, dans les théories comme dans les matériels, dans les goûts comme dans la politique et l’économie.

L’univers politique, en particulier, nous offre le spectacle le plus mobile et le plus trouble, les contradictions les plus sensibles, les combinaisons les plus surprenantes et les plus éphémères.

Tout le monde, par exemple, sait bien que la guerre ne peut plus être considérée, même par le calculateur le plus froid et par la nation la plus puissante, comme un moyen d’atteindre, avec une probabilité suffisante, un but déterminé. Il est devenu impossible d’en prévoir, non seulement l’issue, mais les effets immédiats ; ou plutôt, il est à prévoir que ces effets, quelle que soit l’issue, seront équitablement désastreux, d’abord pour les belligérants indistinctement, et peu de temps après, pour tous les peuples de la terre.

La guerre du type historique n’a donc plus de sens, comme vous l’expliquez fort bien dans votre ouvrage, au chapitre v.

Que voyons-nous, cependant ?

Nous voyons qu’en dépit de cette évidence, le monde s’arme, ou veut s’armer ; et nous sommes loin d’être assurés que ces armes ne serviront pas, quelque jour, à quelque chose. La tradition de violence, à laquelle le raisonnement et l’expérience la plus récente devraient faire renoncer, subsiste, et d’ailleurs emprunte ses moyens éventuels de plus en plus puissants, à une science dont le progrès est dû à l’abandon systématique de toute tradition.

En un mot, hommes d’État, théoriciens et peuples, conservent l’idée de guerre, et tout ce qu’il faut pour que cette idée garde toutes les apparences de l’utilité.