Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/189

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C’est pourquoi, si obscure et complexe que soit la situation d’ensemble, si nombreuses que soient les inégalités en présence et les incompatibilités d’intérêts, il n’est pas interdit de penser que les efforts de l’esprit ne parviennent à circonscrire, sinon à détruire, toute la part de ce désordre qui n’est que désordre des esprits.

La plus juste et la plus grave critique que l’on puisse, à mon sens, adresser à la Société des Nations, c’est de ne s’être pas constituée, avant toute chose, en Société des Esprits. Elle réunit des personnes qui représentent un système historique de concurrences et de discordes. Ils apportent à Genève la meilleure volonté du monde, mais avec elle, une charge d’arrière-pensées, et l’habitude invincible de vouloir obtenir quelque avantage aux dépens d’autrui. Cette idée si simple ne correspond plus aux conditions du monde moderne.

Il faut donc que les esprits indépendants travaillent à éclaircir et à préciser une conception de l’univers politique de laquelle tout ce qui est devenu absurde et qui demeure agissant soit exclu. Il faut retrancher la partie pourrie, les adhérences de l’intellect.

Telles sont les réflexions et tels sont les vœux que me suggèrent, mon cher Confrère, la lecture de votre Lutte pour la Paix. Votre travail permet de se représenter très nettement l’état de cette recherche presque désespérée dont votre qualité d’envoyé d’une nation sud-américaine vous fait le témoin et le critique le plus objectif. En particulier, votre analyse et vos jugements de la politique de Washington dans ses relations avec la politique européenne, sont d’un intérêt et d’un prix que je signale tout spécialement au lecteur.