Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/59

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état d’égarement général, en se fondant sur les connaissances historiques. Je vous l’ai déjà dit, le nombre et l’importance des nouveautés introduites en si peu d’années dans l’univers humain a presque aboli la possibilité de comparer ce qui se passait il y a cinquante ou cent ans avec ce qui se passe aujourd’hui. Nous avons introduit des pouvoirs, inventé des moyens, contracté des habitudes toutes différentes et tout imprévues. Nous avons annulé des valeurs, dissocié des idées, ruiné des sentiments qui paraissaient inébranlables pour avoir résisté à vingt siècles de vicissitudes et nous n’avons, pour exprimer un si nouvel état de choses, que des notions immémoriales.

En somme, nous nous trouvons devant le confus du système social, du matériel verbal et des mythes de toute espèce que nous avons hérités de nos pères, et des conditions récentes de notre vie : conditions d’origine intellectuelle, conditions artificielles, et d’ailleurs essentiellement instables, car elles sont sous la dépendance directe de créations ultérieures, toujours plus nombreuses, de l’intellect. Nous voilà donc en proie à une confusion d’espoirs illimités, justifiés par des réussites inouïes, et de déceptions immenses ou de pressentiments funestes, effets inévitables d’échecs et de catastrophes inouïes.

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Ce n’est ni d’hier ni d’aujourd’hui que cette question me préoccupe. Je ne vous dirai pas ce que j’en ai écrit dès 1895[1],

  1. Une Conquête Méthodique.