Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/68

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quer, il peut se contraindre ; c’est là une création originale, une tentative pour créer ce que j’oserai nommer l’esprit de l’esprit.

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Ajoutons à cette description sommaire de l’esprit conçu dans le sens que je vous ai dit, à ces remarques immédiates, à cette création du temps, à cette création du moi pur, du moi qui s’oppose même à l’identité, à la mémoire même, à la personnalité du sujet, ajoutons la notion de ce que l’homme a pu discerner de plus riche en soi-même : l’universalité qu’il se sent posséder et de laquelle dépend toute sa vie spéculative, toute sa vie philosophique, ou scientifique, ou esthétique. Même dans l’ordre pratique, l’extension de son activité et de ses convoitises, les occasions qu’il y a à saisir, la partie qu’il y a à jouer, le chemin qu’il doit suivre, les précautions qu’il doit observer, tout cela demande une acquisition, un exercice, une gymnastique du possible. Le possible est une sorte de faculté.

L’homme spécule : il fait des projets et des théories. Qu’est-ce que c’est qu’une théorie, si ce n’est précisément l’usage du possible ? La prévision dont je vous parlais tout à l’heure n’est-elle pas une application remarquable de cette faculté ? Mais il est un genre de prévision particulier que je dois signaler au passage : non seulement l’esprit s’essaye à prévoir dans l’ordre des phénomènes et des événements extérieurs, mais il tâche de se prévoir lui-même, de devancer ses propres opérations. Il tâche d’épuiser toutes les conséquences des données que son attention rassemble et d’en saisir la loi. C’est qu’il y a dans l’esprit je ne sais quelle horreur (j’allais dire phobie) de la répétition. Ce qui se