Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 4, 1934.djvu/77

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main qui nous travaille. Jamais ce combat de la veille et du lendemain n’a eu lieu plus furieusement qu’aujourd’hui. Vous en trouveriez sans doute de faibles images, des préfigures dans l’Histoire ; par exemple, à la fin du monde antique, au commencement du christianisme, au moment de la Renaissance, au moment de la Révolution.

Mais l’échelle des phénomènes a singulièrement changé. Plus nous allons, plus se fait sentir l’intervalle croissant qui se produit entre les deux aspects de l’activité de l’esprit, son aspect de transformation et son aspect de conservation.

Je dirai tout d’abord que toute la structure sociale est fondée sur la croyance ou sur la confiance. Tout pouvoir s’établit sur ces propriétés psychologiques. On peut dire que le monde social, le monde juridique, le monde politique, sont essentiellement des mondes mythiques, c’est-à-dire des mondes dont les lois, les bases, les relations qui les constituent, ne sont pas données, proposées par l’observation des choses, par une constatation, par une perception directe ; mais, au contraire, reçoivent de nous leur existence, leur force, leur action d’impulsion et de contrainte ; et cette existence et cette action sont d’autant plus puissantes que nous ignorons davantage qu’elles viennent de nous, de notre esprit.

Croire à la parole humaine, parlée ou écrite, est aussi indispensable aux humains que de se fier à la fermeté du sol. Certes, nous en doutons çà et là, mais nous ne pouvons en douter que dans des cas particuliers.

Le serment, le crédit, le contrat, la signature, les rapports qu’ils supposent, l’existence du passé, le pressentiment de l’avenir, les enseignements que nous recevons, les projets que nous formons, tout cela est de nature entièrement mythique, en ce sens que