Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 5, 1935.djvu/57

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ne pas refuser de saisir, — le caractère stationnaire, dilatoire, en quelque sorte, d’une guerre de peuples, caractérisée par un équilibre, à durée indéterminée, de puissances et de résistances profondes. La doctrine de l’offensive pure ne vous avait jamais conquis. Vous n’aimâtes jamais les théories inflexibles. Vous n’oubliez jamais que le réel n’est fait que d’une infinité assez désordonnée de cas particuliers dont il faut chaque fois considérer l’espèce et refaire l’analyse ; et vous avez agi, à Verdun, contre l’ennemi, en 1917, contre la crise intime, avec des méthodes spécialement imaginées et exactement adaptées à la nature du danger et aux circonstances du moment. Vous n’avez improvisé, dans ces terribles conjonctures, ni l’admirable jugement tactique, ni la profonde connaissance des hommes qui furent la substance de l’un et l’autre succès.

Vos triomphes difficiles ont été les effets et les fruits longuement mûris de toute une vie réfléchie, dominée par un souci tout scientifique de précision dans le regard et de prudence dans les inductions.

Les grandes épreuves ne pouvaient rien changer à cette méthode irréprochable. Un homme nouveau suscité par la guerre ne surgit point en vous. Vous vous bornez à laisser l’expérience remplir un esprit qui l’attendait, et il vous suffit de demeurer celui qui avait compris une fois pour toutes que la vraie valeur d’une intelligence consiste dans la faculté de se laisser instruire par les faits.

C’est pourquoi, je puis bien vous dire, Monsieur, que rien ne vous peint plus fidèlement que ce que vous avez fait de plus beau. Toutes vos qualités constantes y paraissent. Toutes les acquisitions, non scolaires, mais personnelles, que votre esprit