Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 5, 1935.djvu/56

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une division après avoir commandé une armée, ce qui prouve à la fois une possession complète de votre art et une personnalité de première force ; car il n’est qu’une personnalité de première force pour s’accommoder de tous les postes et y porter ses perfections avec soi.

C’est par quoi votre élévation s’est imposée. Vous êtes celui d’entre nos chefs qui, parti devant six mille hommes pour la guerre, l’avez achevée à la tête de trois millions de combattants.

Qu’aviez-vous fait ? Pour ne parler ici que des deux choses les plus grandes, vous avez préservé Verdun, vous avez sauvé l’âme de l’armée.

Comment l’avez-vous fait ? Que supposent en vous ces services insignes ?

Le salut de Verdun, le redressement prompt et prodigieux de l’esprit de nos troupes, ce ne furent point — ce ne pouvait être — de ces actes inspirés, de ces hauts faits qui procèdent d’un éclair de lumière intellectuelle et d’énergie, de ces bonheurs saisis et exploités qui transforment soudain une situation, emportent tout à coup le destin d’une armée. Le temps n’est plus de ces miracles. Dans une guerre à forme lente, où les coups les plus éclatants qui soient portés s’amortissent en quelques jours contre la masse et les ressorts de grandes et puissantes nations tout entières ordonnées à la lutte, animées à la résistance totale, — la foudre, le génie, l’événement sublime, ne peuvent pas suffire à anéantir l’adversaire.

Je ne sais si vous l’aviez pressenti ; mais vous étiez fait pour le pressentir. Vous étiez heureusement parmi nous l’un des hommes les plus aptes en soi et des mieux préparés par une orientation instinctive de leurs pensées, à saisir, — ou plutôt : à