Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 5, 1935.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les armes. La Russie disparue, les Allemands sont en force. Mais si le moment leur est favorable, le temps travaille pour nous. Tout les engage donc à entretenir l’illusion d’en finir par un coup de suprême violence. Ils attaquent en maîtres ; emportent en quelques heures d’épouvantables succès. Ils imposent ainsi aux alliés consternés ce que la sagesse leur conseillait dès l’origine.


Foch alors sort de l’ombre, où depuis la Somme on le tient. Jusqu’ici il n’a pu donner sa mesure. Ce grand chef n’a jamais commandé en chef. D’ailleurs, point de guerre moins faite pour lui que cette guerre de détails et de longueur. Il est né pour les actes du plus grand style, et il ne se sent être lui-même que dans le mouvement et la manœuvre à large envergure. L’action l’habite, et commande chacune de ses pensées. C’est un Français qui a la tête épique.

Ce qui frappait d’abord en lui, c’était cette promptitude extraordinaire des idées, que marquait sa parole invincible à la course, — comme pressée de percer le discours de ses interlocuteurs et de les devancer d’un mot au point stratégique de la question. Il ne pouvait visiblement souffrir de retarder sur l’étincelle même qui venait de briller à son esprit. Il volait d’instinct à l’essentiel ; sa pensée se précipitait à peine formée vers l’acte décisif, concevait aussitôt l’événement de première grandeur ; sacrifiant le détail ; parfois, défiant le possible.

Il usait volontiers d’images, qui sont le moyen de transport le plus prompt, sinon le plus sûr, entre deux éclats de l’esprit. On l’accusait d’obscurité, reproche que s’attirent toujours les esprits les plus clairs, qui ne trouvent pas ordinairement leur clarté dans l’expression commune. Il me souvient, cependant,