Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 7, 1937.djvu/111

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Beyle tenait heureusement du siècle où il naquit l’inestimable don de la vivacité. La prépotence pesante et l’ennui n’eurent jamais de plus prompt adversaire. Classiques et Romantiques, entre lesquels il se mut et étincela, irritaient sa verve précise. On l’eût amusé, (mais flatté dans le fond), de lui faire entrevoir, au travers d’une carafe magique, tout son avenir doctoral. Il eût vu dans l’eau enchantée ses formules devenir thèses, ses manies se faire préceptes, ses boutades se développer en théories, des doctrines sortir de lui, des commentaires infinis déduits de ses brèves maximes. Ses motifs favoris, Napoléon, l’amour, l’énergie, le bonheur, ont engendré des volumes d’exégèses. Des philosophes s’y sont mis. L’érudition a pointé ses yeux grossissants sur les moindres points de sa vie, sur ses griffonnages, sur les factures de ses fournisseurs. Une sorte d’idolâtrie, naïve et naïvement mystérieuse, vénère le nom et les reliques de ce briseur d’idoles. Suivant l’usage, ce qu’il avait de bizarreries a excité l’imitation. Tout le contraire de lui-même, de sa liberté, de son caprice, de son goût de l’opposition est né de lui. Il y a beaucoup d’imprévu dans l’opération de la gloire. La gloire est toujours mystique, même la gloire des athées.

Au diable ce Stendhal ! dit parfois l’esprit de Stendhal reparu dans quelque lecteur non conformiste.

Victime de son père, victime de gens de bien et de gens sérieux qui l’enchaînent ou qui l’ennuient, esclave assez peu esclave de ces pesants travailleurs du Conseil d’État, les piliers de l’Empire, consulteurs, rapporteurs qui devaient fournir sans