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Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 7, 1937.djvu/112

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relâche à la fièvre du maître, aux besoins d’une France immense et d’une situation perpétuellement critique, leur aliment de réponses, de règlements de détail, de chiffres, de décisions et de précisions, il avait connu de très près, noté, percé, raillé les sottises et les vertus des hommes en place ; observé quelquefois leur vénalité, toujours leur soif de l’avancement, leurs calculs profonds et puérils, leur futilité méticuleuse, leur goût des phrases et de l’importance, les embarras qu’ils se faisaient et qu’ils faisaient ; leur courage incroyable devant ces montagnes de dossiers, ces colonnes de nombres qui écrasent l’âme sans enrichir l’intellect, écritures infinies qui donnent au pouvoir l’illusion d’exister, de savoir, de prévoir et d’agir… Beyle oppose toujours quelque jeune homme pur et quelque homme d’esprit à ces monstres de besogne, de niaiserie, de cupidité, de sécheresse, d’hypocrisie ou d’envie, dont il a peint tant de fois les visages, les caractères et les actes. Il concevait par ses dégoûts, il s’assurait par soi-même que la véritable valeur peut être séparée des vanités, des paperasses, des mensonges, de la solennité, de l’automatisme. Il avait remarqué que ces hommes importants, si nécessairement associés à la bonne marche des affaires, sont nuls et muets devant l’imprévu. Un État qui n’a pas quelques improvisateurs en réserve est un État sans nerfs. Tout ce qui marche vite le menace. Ce qui tombe des nues l’anéantit.

On lit aisément dans Beyle qu’il eût aimé de traiter de grandes affaires en se jouant. Il crée amoureusement des hommes aux jugements nets et brefs, aux ripostes instantanées du même ordre de durée que les événements, aussi brusques, aussi surprenantes que les surprises, — ministres ou banquiers qui mènent, tranchent, traversent les circonstances, combinent le plaisant au