Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 7, 1937.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se poursuivre assez raisonnablement. Ils opèrent l’un et l’autre sur la même époque et la même substance sociale. Ce sont deux observateurs imaginatifs du même objet…

Tous les personnages de Stendhal ont ce vice ou cette vertu commune : qu’ils ne peuvent, en toute occasion, qu’ils ne manifestent, chacun suivant sa figure ou selon son état, quelque antipathie ou quelque sympathie de leur premier moteur.

L’artiste, quelquefois, semble chérir ses bêtes noires. On aime sans le savoir ce que l’on tourmente avec plaisir. Il les charge et les marque, et les perce, ou les déchire avec délices. Il y revient, il prend un goût infini à se moquer de leur bêtise, de leurs bassesses, de leurs calculs. Personne qui ne soit chez lui plus ou moins raillé ; nul qui ne trompe ou ne soit trompé ; ou les deux à la fois, ce qui est le cas ordinaire. Même ses préférés sont des victimes de leur cœur tendre, et les dupes du Beau.

On ne voit pas nettement pourquoi Stendhal ne s’est pas donné au théâtre, auquel tout le destinait. On peut rêver sur ce vide, si l’on a ce loisir. L’époque, sans doute, n’était pas encore celle où drames et comédies par Henry Beyle eussent eu chance de plaire.

Mais lui, auteur qui est un acteur intime, il se dresse une scène dans son esprit, — ou dans son âme, ou dans son cerveau, — (le mot importe peu, il ne s’agit que de désigner cette sorte de lieu-temps où se passe ce que chacun est seul à voir, — où ce que l’on y voit est peu distinct de ce qu’on veut et que l’on fait).

Sur ce tréteau privé, il donne sans relâche le spectacle de Soi-Même ; il se fait de sa vie, de sa carrière, de ses amours, de