Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 7, 1937.djvu/120

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Peut-être l’immense péché, le péché métaphysique par excellence, que les théologiens ont nommé du beau nom d’orgueil, a-t-il pour racine dans l’être cette irritabilité du besoin d’être unique ? Mais encore, en poussant plus avant cette réflexion, en la conduisant un peu trop loin, sans doute, sur le chemin des sentiments les plus simples, trouverait-on, au fond de l’orgueil, seulement l’horreur de la mort, car nous ne connaissons la mort seulement que par les autres qui meurent, et si nous sommes réellement leur semblable, nous mourrons aussi. Et, donc, cette horreur de la mort développe de ses ténèbres je ne sais quelle volonté forcenée d’être non-semblable, d’être l’indépendance même et le singulier par excellence, c’est-à-dire d’être un dieu. Refuser d’être semblable, refuser d’avoir des semblables, refuser l’être à ceux qui sont apparemment et raisonnablement nos semblables, c’est refuser d’être mortel, et vouloir aveuglément ne pas être de même essence que ces gens qui passent et fondent l’un après l’autre autour de nous. Le syllogisme qui mène Socrate à la mort plus sûrement que la ciguë, l’induction qui en forme la majeure, la déduction qui le conclut, éveillent une défense et une révolte obscure dont le culte de soi-même est un effet qui se déduit facilement.

Voilà où se dirige l’égotisme quand on remonte à ce qu’il peut être dans sa source. J’ai été quelque peu plus loin dans cette recherche qu’il ne convenait sans doute au sujet de Stendhal ; ce que je viens d’écrire s’adapterait mieux à Nietzsche, et serait en sa place dans la marge d’Ecce Homo, plutôt que dans celle