Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 7, 1937.djvu/121

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d’Henri Brulard. Mais le plus enferme le moins, et l’éclaire. Mais le moi infecté ne fait qu’exagérer et rendre affreusement sensibles les secrètes dispositions et les tentations profondes qui ne manquent pas dans le moi à peu près normal.

Quant à l’égotisme à la Stendhal, il implique une croyance, la croyance à un Moi-naturel, dont la culture, la civilisation et les mœurs sont ennemies. Ce Moi-naturel nous est connu, et ne peut nous être connu que par celles de nos réactions que nous jugeons ou imaginons primitives et véritablement spontanées. Plus ces réactions nous paraissent indépendantes du milieu social, et des habitudes, ou de l’éducation qu’il nous a données, plus précieuses et authentiques sont-elles pour l’Égotiste.

Ce qui me frappe, m’amuse, et même me charme, dans cette volonté de naturel de l’Égotiste, c’est qu’elle exige et comporte nécessairement une convention. Pour distinguer ce qui est naturel de ce qui est conventionnel, une convention est indispensable. Comment démêler autrement ce qui est nature de ce qui est culture ? Le naturel est variable ; le spontané a des origines très diverses dans chacun. Croit-on que même l’amour ne soit pas pénétré de choses apprises, qu’il n’y ait pas de la tradition jusque dans les fureurs et les émois et les complications de sentiments et de pensées qu’il peut engendrer ? — Si même je dis que le naturel est ce qui, dans les dispositions et les mouvements de quelqu'un, émane directement de l’organisme, je dis par là qu’il y a autant de modes d’être naturel qu’il y a de complexions différentes, c’est-à-dire d’individus, dont chacun trouvera les actes et les paroles d’un autre fort éloignés de la nature, qu’il trouve en soi.