Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 7, 1937.djvu/126

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Pourquoi écrire : Lettre of the author of the Cenci ? Ou bien : c’est à forthy (sic) seven que Dominique…, etc.

D’autre fois, il opère d’innocentes permutations de syllabes : les trespres, la ligionre

J’espère de tout mon cœur qu’il ne se flattait pas d’abuser par là les curieux.

Je ne vois dans ces habitudes qu’une comédie de cryptographie. Il fait semblant d’écrire en chiffre, à peu près comme un acteur fait semblant de manger ou de boire ; et peut-être le fait-il pour se donner la sensation d’être de connivence avec soi-même, d’être un peu plus intime avec soi-même que ne l’est avec soi-même le commun des MOI.

Peut-être songeait-il vaguement que le langage natal, celui de la parole intérieure, lui pourrait insidieusement suggérer, par le détour de l’expression, quelque manière de sentir qui ne fût absolument sienne et indépendante de sa nation ? Le Moi libre habite Cosmopolis et pense en toutes les langues.

Il est vrai que tout homme jalousement et puissamment personnel se forge un langage secret. Il se passe dans une tête ce qui se passe dans une famille, ou dans une très petite société fermée, comme un couple d’amis ou d’amants. Toute complicité se scelle aussitôt par l’institution d’un vocabulaire réservé. Toute entente privée s’organise aux dépens des conventions publiques. Stendhal conspire avec Stendhal sous des noms variés, (129 pseudonymes comptés par Léautaud), parfois contre Stendhal, toujours contre les sots, les importants et les insensibles.

Stendhal, inventeur du happy few, me fait songer par ce goût si marqué pour le secret dans les opinions et pour les petits cercles de mêmes sympathies et antipathies, à cette génération