Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 7, 1937.djvu/129

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Ce dessein, ces interdictions qu’il se prescrit se résument à faire entendre une voix réelle ; sa prétention à lui le conduit à vouloir accumuler dans une œuvre tous les symptômes les plus expressifs de la sincérité. Son invention en matière de style fut sans doute d’oser écrire selon son caractère qu’il connaissait, et même — qu’il imitait à merveille.

Je ne hais pas ce ton qu’il s’était fait. Il m’enchante parfois, il m’amuse toujours ; mais, au contraire de l’intention de l’auteur, par l’effet de comédie que tant de sincérité et quelque peu trop de vie me produisent inévitablement. Je m’accuse de trouver ses intonations trois ou quatre fois trop sincères ; je perçois le projet d’être soi, d’être vrai jusqu’au faux. Le vrai que l’on favorise se change par là insensiblement sous la plume dans le vrai qui est fait pour paraître vrai. Vérité et volonté de vérité forment ensemble un instable mélange où fermente une contradiction et d’où ne manque jamais de sortir une production falsifiée.

Comment ne pas choisir le meilleur, dans ce vrai sur quoi l’on opère ? Comment ne pas souligner, arrondir, colorer, chercher à faire plus net, plus fort, plus troublant, plus intime, plus brutal que le modèle ? En littérature, le vrai n’est pas concevable. Tantôt par la simplicité, tantôt par la bizarrerie, tantôt par la précision trop poussée, tantôt par la négligence, tantôt par l’aveu de choses plus ou moins honteuses, mais toujours choisies, — aussi bien choisies que possible, — toujours, et par tous moyens, qu’il s’agisse de Pascal, de Diderot, de Rousseau ou de Beyle, et que la nudité qu’on nous exhibe soit d’un pécheur, d’un cynique, d’un moraliste ou d’un libertin, elle est inévitablement éclairée, colorée et fardée selon toutes les règles du théâtre mental. Nous savons bien qu’on ne se dévoile que pour quelque