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Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 7, 1937.djvu/128

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Ce qui frappe le plus dans une page de Stendhal, ce qui sur-le-champ le dénonce, attache ou irrite l’esprit, c’est le ton. Il possède, et d’ailleurs affecte, le ton le plus individuel qu’il soit en littérature. Ce ton est si marqué, il fait l’homme si présent, qu’il excuse aux yeux des stendhaliens : 1o les négligences, la volonté de négligence, le mépris de toutes les qualités formelles du style ; 2o divers pillages et quantité de plagiats. En toutes matières criminelles, l’essentiel pour l’accusé est de se rendre infiniment plus intéressant que ses victimes. Que nous font les victimes de Beyle ? Des biens mornes d’autrui, il refait des ouvrages qui se lisent, parce qu’il s’y mêle un certain ton.

Et de quoi ce ton est-il fait ? Je l’ai peut-être déjà dit : Être vif à tous risques ; écrire comme on parle quand on est homme d’esprit, avec des allusions, même obscures, des coupures brusques, des bonds et des parenthèses ; écrire presque comme on se parle ; tenir l’allure d’une conversation libre et gaie ; pousser parfois jusqu’au monologue tout nu ; toujours et partout, fuir le style poétique, et faire sentir qu’on le fuit, qu’on déjoue la phrase per se, qui, par le rythme et l’étendue, sonnerait trop pur et trop beau, atteindrait ce genre soutenu que Stendhal raille et déteste, où il ne voit qu’affectation, attitude, arrière-pensées non désintéressées.

Mais c’est une loi de la nature que l’on ne se défende d’une affectation que par une autre.