Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 7, 1937.djvu/132

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rapports des individus avec les individus ; mais de soi à soi-même ? Comme je l’ai dit ici et redit, à peine la volonté s’en mêle, ce vouloir-être-sincère-avec-soi est un principe inévitable de falsification.

La sincérité extérieure est l’accord des deux faces de l’homme, l’une visible, l’autre déduite ou probable. Mais pour donner un sens à la notion de sincérité intime, il faut qu’une sorte d’opération, de division du sujet, introduise je ne sais quel observateur absolu de nos états récents presque naissants… Or cet observateur a pour fonction de nous apprendre que la pensée qui vient d’être, est ou non conforme à une certaine idée constante que nous avons de nous, ou devons en avoir. Cette analyse grossière suffit à rendre explicites quelques-unes des conventions qui interviennent dans l’illusion de la sincérité. Ce n’est pas tout : ces conventions elles-mêmes sont nécessairement empruntées au monde extérieur, par exemple, à la morale apprise : se juger, se blâmer est une comédie.

Comédie et convention consistent dans une certaine substitution de ce que l’on sait à ce que l’on est, — et l’on ne sait pas ce que l’on est.

En somme, la sincérité propre de Stendhal, comme toutes les sincérités volontaires sans exception, se confondait avec une comédie de sincérité qu’il se jouait. Être sincère revient à ignorer où à classer hors cadres l’observateur, juge de la partie. Stendhal mesurait par là et par son cœur la feintise des autres, et se trouvait en quelque sorte infiniment sensibilisé à l’égard de la vérité de second plan que l’on peut attribuer à toute personne ; et que toute personne offrirait à un témoin suffisamment reculé dans sa conscience réfléchie.