Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 7, 1937.djvu/133

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Presque tout ce qu’il entendait lui sonnait mensonge à l’oreille. Il traduisait les gens à livre ouvert, ou se figurait les traduire.

L’époque était éminemment favorable à ce genre d’activité intellectuelle.

Jamais conjonctures plus propices à toutes les mascarades sociales. Dix régimes en cinquante ans. On avait vécu comme on avait pu sous des gouvernements de vie courte et rude, tous anxieux de sonder les cœurs, aucun ennemi de la fraude. On avait assisté aux mues et aux reprises fort brusques des personnages les plus graves, aux vives substitutions de cocardes, à la fantasmagorie de la puissance, aux sorties et aux rentrées de la légitimité, de la liberté, des aigles, de Dieu même ; à l’étonnant spectacle d’hommes égarés entre leurs serments, disputés par leurs souvenirs, leurs passions, leurs intérêts, leurs rancunes, leurs pronostics… Quelques-uns se sentaient confusément sur la tête tout un échafaud de coiffures, une perruque, une calotte, un bonnet rouge, un chapeau à plume tricolore, un chapeau à cornes, un chapeau bourgeois. Parfois surpris, parfois justifiés par l’événement ; et tantôt par le rapatriement des lys, tantôt par le retour de flamme de 1815, tantôt par la duperie de 1830, toujours suspendus à l’instant, presque dressés à se changer du soir au matin de proscripteurs en proscrits, de suspects en magistrats, de ministres en fugitifs, ils vivaient une farce plus ou moins dangereuse, et finissaient pour la plupart, dans tous les partis et sous tous les visages, par ne plus croire qu’à l’argent. Ce carac-