Page:Valéry - Œuvres de Paul Valery, Vol 7, 1937.djvu/135

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Jusque dans les Lettres, une sorte de révolution intervenue instruit les Muses aux mœurs, aux violences, au charlatanisme des luttes électorales. Il se forme des factions dans la poésie, qui prennent les façons rudes et âpres des partis politiques. On rédige des manifestes. La première d’Hernani est une vraie réunion publique avec partisans et adversaires organisés, les places et les rôles marqués d’avance.

Tout ceci ne favorisait point la franchise générale. Tout le monde qui comptait mentait, exagérait, figurait. Pouvait-il en être autrement ?

C’était un temps où tous les hauts postes étaient habités de « caméléons » ; surmontés de fines « girouettes ».

On avait entendu les bouches les plus augustes mentir dans les occasions les plus sacrées. Qui sur l’épée, qui sur l’Évangile, qui sur la Charte, tous se trouvaient contraints tour à tour de sacrifier solennellement au mensonge. Les promesses de paix, de liberté, de pardon ; les assurances des Alliés, mensonges. Les bulletins de la Grande Armée, les proclamations des autorités successives, les journaux de toutes couleurs avaient menti, mentaient, devaient mentir. On mentait à la tribune, dans la chaire, à la Bourse, à l’Institut ; même la philosophie mentait, même les arts, même le style ! — Chateaubriand et le style poétique mentent. Monsieur Victor Hugo et ses amis défigurent, dilatent le vrai à chaque mot…

Ce petit tableau des fonctions du mensonge entre 1800 et 1840 pourrait être constitué par un lecteur patient au moyen de